Edouard Philippe annonce de nombreux "reports" : comment comprendre la stratégie fiscale du gouvernement ?

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Jean-Yves Archer, édité par la rédaction
Publié le 05 juillet 2017 - 13:34
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Edouard Philippe à l'assemblée nationale à Paris le 4 juillet 2017
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© Martin BUREAU / AFP
Edouard Philippe a annoncé de nombreux reports fiscaux lors de son discours de politique générale mardi 4.
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Lors de son discours de politique générale mardi, Edouard Philippe a détaillé un programme fiscal certes conséquent, mais émaillé de nombreux reports dans le calendrier. Un signe, peut-être, que le gouvernement ne veut pas se lancer dans une politique contracyclique par rapport à la situation actuelle, malgré le déficit budgétaire accumulé. Jean-Yves Archer, spécialiste des finances publiques et dirigeant du cabinet Archer, décrypte pour "FranceSoir" les enjeux contradictoires auxquels doit faire face la nouvelle équipe exécutive sur la question fiscale.

La France sort tout juste d'un état de sidération électorale. Un homme seul (ou presque…) a réussi à tout chambouler. A commencer par la physionomie de l'Assemblée nationale. C'est précisément devant celle-ci que s'exprimait mardi 4 le premier ministre Edouard PhilippeFini l'état de sidération que le Congrès de Versailles du 3 juillet avait contribué à faire perdurer, le Premier ministre est entré dans le vif du sujet. Clairement, il s'agit d'une marche à petits pas, au rythme aussi sympathique que lent d'un escargot de Bourgogne: sur maints sujets, Edouard Philippe a utilisé le mot "report".

Concrètement, des pans entiers du programme du candidat d'En Marche! sont reportés à 2019 voire après. Il en est ainsi de la baisse de l'impôt sur les sociétés (pourtant gage de compétitivité), de la réforme de l'ISF (pourtant gage de fluidité des actifs financiers et des placements corrélés), de la taxe d'habitation (pourtant supposée amortir, pour certains, la hausse de la CSG), etc. Tous ces reports sont complexes car, selon les dires du Premier ministre, le budget pour 2018 contiendra bien ces mesures mais à date d'effet de 2019. A mon avis, selon les cas, cela peut poser un problème avec la règle sacro-sainte d'annualité budgétaire. Un budget ne dispose que pour l'année en cours faute d'être taxé de cavalerie. La France est en état d'addiction face à la dépense publique et il faut la désintoxiquer avec parcimonie et doigté. En 1995, en novembre, chacun se souvient du discours du tournant de la rigueur de Jacques Chirac qui avait trop hâtivement écouté son Premier ministre Alain Juppé. Le Président Macron a-t-il commis la même approximation?

La rigueur n'est pas une solution technique et elle est un grand risque politique pour le nouveau président qu'elle éloigne de sa capacité à générer un "choc de confiance" dont nous avons tant besoin. Raymond Barre et Edmond Malinvaud furent mes professeurs. Autant dire que je suis attaché à la rectitude et à la rigueur des comptes publics. Mais cette louable position de principe doit être impérativement croisée avec l'état sociologique du pays. Quand 75% du corps électoral n'a pas apporté son soutien à l'actuel président lors du premier tour des élections présidentielles, il y a lieu de doser l'effort budgétaire avec un tastevin davantage qu'avec un sceau d'abreuvoir à chevaux.

Ainsi, après réflexion posée, je considère que la France aurait eu intérêt à emprunter une tranche exceptionnelle de 15 milliards afin de solder les dérapages divers et variés de Michel Sapin. Les taux sont encore bas et 15 milliards représentent 0,68% des 2.200 milliards que nous aurons à juguler tôt ou tard. Je rappelle que la France emprunte chaque année 180 milliards (hors quote-part de remboursements) et que le quinquennat Hollande a vu notre dette s'aggraver de 341 milliards d'euros. Emprunter pour éviter une dislocation de l'embellie conjoncturelle, telle est ma conviction à rebours des fondamentaux de ma formation. Edouard Philippe a opté pour la notion de report (des mesures du candidat Macron), de "reporting" (au chef de l'Etat) et de réitération de l'orthodoxie budgétaire qui me semble dangereusement contracyclique. La croissance, les "clignotants au vert" ne me semblent pas assez installés pour tenter de mener une telle politique au fil de l'eau en 2018.

Au demeurant, je souligne que la disette budgétaire est une pratique qui est bien souvent contournée. Un exemple à 2,5 milliards? On nous parle du gel du point d'indice des fonctionnaires alors même que le gel de 2010 à 2016 a été biaisé, avec "brio" et constance par une politique inflationniste de promotions. En clair, les primes exceptionnelles et le GVT (glissement vieillissement technicité) ont largement permis de maintenir, a minima, le pouvoir d'achat. Il y a donc l'affichage depuis un pupitre de Matignon (ou de la tribune du Palais Bourbon) et les réalités du terrain. Si l'ampleur du serrage de vis que veut conduire Edouard Philippe s'exécute, il y aura des stratégies de contournement dans les divers replis de notre Etat obèse mais soucieux de son périmètre de "survie".

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