Un front républicain macroniste-lepéniste en marche contre la gauche [4/5]
CHRONIQUE — Durant cette campagne des législatives, on assiste à un consensus au sein des élites et de la macronie pour tenter de travestir le concept de « front républicain ». Le but ? S'allier implicitement avec l'extrême-droite afin de limiter la percée de la gauche au sein de l'Assemblée nationale. Lutter Ensemble ! pour la défense des « valeurs républicaines », de manière à rassembler bourgeois et autres sociaux-démocrates, non plus contre Marine Le Pen, mais contre Jean-Luc Mélenchon et contre la NUPES.
Décryptage d'une farce politicienne à la française, où les liens existants entre lepénisme et macronisme sont en réalité bien plus solides et pérennes qu'il n'y paraît : épisode 4/5.
Premier volet : Un front républicain macroniste-lepeniste en marche contre la gauche [1/5]
Deuxième volet : Un front républicain macroniste-lepéniste en marche contre la gauche [2/5]
Troisième volet : Un front républicain macroniste-lepeniste en marche contre la gauche [3/5]
En Histoire, comparaison n'est pas raison...
S'il est important de s'en nourrir, il serait dans tous les cas malvenu de vouloir observer notre réalité politique au travers du regard passéiste de Jaurès ou de Marx. Nul doute qu'ils penseraient différemment le monde actuel et sortiraient, au moins en partie, de leurs visions cultivées à leurs époques pour a minima les adapter à la nôtre.
C'est d'ailleurs l'une des premières critiques que formule Jaurès à l'égard de la méthode marxiste. Il considère la vision marxiste du milieu du XIXe siècle comme anachronique avec la politique contemporaine à laquelle faisaient face Jaurès et Péguy au début du XXe siècle : « s’il y a dans notre parti incertitude et malaise, c’est parce qu’il associe en des mélanges confus les méthodes en partie surannées que nos maîtres nous ont léguées, et les nécessités mal formulées encore des temps nouveaux. ».
Il est envisageable de penser que Jaurès tirerait certainement les mêmes conclusions aujourd'hui au sujet de ceux qui en 2022 essaient, pour convaincre leur lectorat, d'observer leur réalité à travers l’œil des Lumières et/ou de Jaurès lui-même... tant les méthodes de ces-derniers sont aujourd'hui « en partie surannées » et que « les nécessités » de nos « temps nouveaux » sont encore « mal formulées ».
…même si Marx, Jaurès, Blum et Mélenchon seraient tous tombés d'accord sur un point
Par ailleurs, s'il y a une chose sur laquelle on peut miser sans prendre le risque de se tromper, c'est que Marx, Jaurès, Blum et Mélenchon seraient tous tombés d'accord sur un point : la bourgeoisie cherchera toujours à conserver le pouvoir pour protéger ses intérêts et maintenir son rapport de force sur le reste de la population.
La farce politique à laquelle nous assistons au sujet de ce front républicain à géométrie variable – hier avec LFI face au RN et aujourd'hui avec le RN face à la NUPES – s'inscrit d'ailleurs dans cette continuité. Elle est l'exemple idoine de ce combat mené par ce bloc bourgeois, dès lors qu'il sent son pouvoir institutionnel menacé. Cazeneuve, Valls, Hollande, Ferry, Bouzou, Enthoven, Naulleau, ont tous en commun ce rapport de classe qui aveugle leurs convictions et leur lucidité politiques.
Et quand Bouzou oppose à la méthode marxiste les valeurs des Lumières, considérées comme bourgeoises par Marx (mais aussi indiscutablement par Ferry et par lui-même), il ne fait là, lui aussi, rien d'autre que du sophisme. Il se perd dans l'anachronisme de l'analogie de Ferry en se basant sur des préceptes erronés.
En effet, dans le contexte historique de l’époque des Lumières, la bourgeoisie, avec la noblesse et le clergé, était la seule à pouvoir accéder au savoir. Si au XVIIIe siècle le prolétariat avait disposé des mêmes conditions de vie et de subsistance que la classe bourgeoise, s'il avait ne serait-ce que disposé d'un accès décent aux savoirs et aux richesses, s'il avait disposé d'un temps de loisirs plus conséquent au regard de son temps de travail, alors l'origine des Lumières n'aurait pas été déterminée à l'appartenance à une classe sociale particulière, mais à la seule qualité éducationnelle reçue par un individu et à ses capacités personnelles à pouvoir s'élever philosophiquement et politiquement.
C'est parce que Rousseau ou Voltaire, Jaurès ou Clemenceau, ont eu accès à un enseignement bourgeois et à une position sociale privilégiée qu'ils ont pu, en matière de philosophie et/ou de politique, devenir des acteurs essentiels de leur époque.
Pour combien de leurs contemporains potentiellement clones intellectuels de Montesquieu, de Chateaubriand ou de Sadi-Carnot qui, eux, nés prolétaires, n'ont pas eu l'opportunité d'exercer leur talent, faute d'élévation sociale possible ?
Ce n'est ni la philosophie ni le savoir qui sont bourgeois, mais uniquement ceux qui se les sont accaparés... et qui entendent ne pas les partager. Et l'émergence d'un penseur comme Marx, avec tout l'extrémisme qui le caractérise, n'est rien d'autre que la conséquence de cet état fait.
Or – de l'école publique à l'avènement d'internet en passant par le suffrage universel généralisé à l'ensemble des citoyens majeurs – depuis la donne a en partie changé.
Aussi effrayante soit la nouvelle pour Bouzou et Ferry, les Lumières, et les concepts philosophiques qui en ont résulté et qui continueront d'en découler, ne sont plus de nos jours l'exclusif apanage de la bourgeoisie et de l'héritage qu'elle entend gracieusement offrir, elles peuvent à présent tout aussi bien s'allumer depuis un monde prolétaire bien plus savant qu'il y a deux ou trois siècles. Les Voltaire, Rousseau, et autre Montesquieu du XXIe siècle peuvent aujourd'hui tout à fait naître en dehors de la bourgeoisie, et y demeurer, sans que cela ne soit un frein rédhibitoire à leur élévation philosophique. Idem pour les futurs Jaurès.
C'est-à-dire des hommes et des femmes capables de faire tendre le prolétariat, et le peuple de manière plus globale, vers le progrès social sans avoir nécessairement besoin de s'inscrire dans la lignée pure et dure du marxisme, ni sans pour autant devoir subir le diktat des (valeurs) bourgeois(es) au sujet de la radicalité qui les anime.
C'est ce que Jaurès appelait de ses vœux lorsqu'il écrivait : « D’abord, le prolétariat plus fort ne compte plus sur la faveur d’une révolution bourgeoise. C’est par sa force propre et au nom de son idée propre qu’il veut agir sur la démocratie. Il ne guette pas une révolution bourgeoise pour jeter la bourgeoisie à bas de sa révolution comme on renverse un cavalier pour s’emparer de sa monture. Il a son organisation à lui, sa puissance à lui. (…) Il a par le suffrage universel et la démocratie une force légale indéfiniment extensible. »
La rupture irréconciliable entre « la gauche des ex-éléphants » et celle du peuple est d'ailleurs une conséquence directe de cette nouvelle donne contemporaine. Pour tendre vers le progrès social, entre la dépendance à des valeurs bourgeoises et la défense de l'intérêt populaire, la gauche électorale de 2022 semble avoir fait son choix.
D'autant que la part de prolétaires au sein de la société française n'a cessé de diminuer entre le milieu du XIXe siècle, au moment où Marx propose sa méthode, le début du XXe, quand Jaurès en fait la critique, et au premier quart du XXIe siècle, quand Bouzou et Ferry se réfèrent à un contexte historique et politique révolu.
Effectivement, les Lumières ont participé à l'avènement d'une révolution française à laquelle les philosophes de l'époque aspiraient eux-mêmes en tant que bourgeois dans un contexte politique dominé par la noblesse.
Tout comme la Commune de Paris ou Marx ont aspiré au renversement du contexte politique de leur époque dominé cette fois par la bourgeoisie.
Puis, l'eau a coulé sous les ponts. Puis, Jaurès est arrivé, puis Blum, puis Mélenchon... puis Ferry, puis Bouzou.
La Commune de Paris massacrée au nom de valeurs bourgeoises
À ce titre, une partie de la supercherie dialectique employée par Bouzou et Ferry revient à mettre en avant l'héritage commun des Lumières et de Jaurès – et donc indirectement celui des valeurs bourgeoises face au marxisme des prolétaires – sans prendre le temps d'expliciter la naissance de la IIIe République.
Ce régime, qui a justement vu émerger Jaurès et Blum, s'est construit une légitimité sur le massacre des Communards au nom précisément d'un ordre bourgeois qu'il fallait absolument préserver face à la menace prolétarienne. Il s'agissait alors de démontrer que ce jeune régime – qui en un peu plus de 80 ans faisait suite à deux républiques, deux empires et deux monarchies... période pendant laquelle Marx a maintes fois été chassé de Paris – était capable, s'il voulait perdurer, de tuer toute velléité de soulèvement populaire et/ou de révolution de la gauche française. Quitte à ce que le chef du pouvoir exécutif de l'époque, Adolphe Thiers, aille jusqu'à pactiser avec Bismarck, l'ennemi prussien toujours présent sur le territoire national malgré l'armistice signé et dont les troupes bloquaient les sorties Est de Paris. En les enfermant face aux Versaillais situés dans la capitale à l'ouest de leurs positions, les forces prussiennes ont ainsi sciemment favorisé le massacre des Communards pris en étau entre les deux armées (ndla : cf. entre autres les travaux de Henri Guillemin sur le sujet).
À cette époque, ces « valeurs bourgeoises », aux intérêts communs menacés, avaient su dépasser les frontières nationales afin de mater dans le sang une insurrection populaire pourtant purement franco-française. N'en déplaise à Nicolas Bouzou ou à Ferry qui espéraient voir les forces de l'ordre user de leurs armes à feu sur les Gilets Jaunes, l'histoire de la bourgeoisie et l'héritage qu'elle a légué au peuple français ne se parcourent pas qu'en sens unique. La Commune de Paris est là pour nous aider à nous en souvenir.
Et en 2022, comme en 1871, « tout sauf les prolos au pouvoir » semble toujours être le leitmotiv suprême de ce bloc bourgeois apeuré face au « Rouge Mélenchon » et face à l'idée de perdre le contrôle total sur ses intérêts, sur ses privilèges... ainsi que sur la diffusion de ses valeurs.
Pour en conclure avec le raisonnement de Ferry relayé par l'économiste, il convient au final d'objecter que, contrairement aux souhaits de Marx, et sans trahir l'esprit de Jaurès qui leur est si cher, si au XXIe siècle le progrès social ne naîtra vraisemblablement pas de l'appauvrissement du prolétariat, il ne viendra pas non plus de l'enrichissement de la bourgeoisie, mais plutôt de la somme des richesses dont pourra jouir au sein d'une démocratie chaque individu... toutes classes sociales existantes confondues.
Edgar Morin, philosophe et sociologue communiste de notre époque, bien plus légitime aux yeux du peuple de gauche (républicain) que le concert de personnalités actuel entendu précédemment, plaidait justement dans le sens de cette union des genres et des antagonismes de manière à renouveler la façon de faire de la politique et la manière de construire la gauche.
Une vision qu'il a notamment défendue dans l'avant-propos de son livre Ma gauche, relayé par Le Monde en 2010 : « j'ai toujours combattu le « la » sclérosant et menteur de la gauche, tout en reconnaissant l'unité des sources et aspirations. Les aspirations à un monde meilleur se sont toujours fondées sur l’œuvre de penseurs. Les Lumières de Voltaire et Diderot, jointes aux idées antagonistes de Rousseau, ont irrigué 1789. Marx a été le penseur formidable qui a inspiré à la fois la social-démocratie et le communisme, jusqu'à ce que la social-démocratie devienne réformiste. Proudhon a été l'inspirateur d'un socialisme non marxiste. Bakounine et Kropotkine ont été les inspirateurs des courants libertaires. ».
Pour Edgar Morin ces multiples sources d'inspirations ne sont pas à mettre en opposition, mais sont au contraire toutes complémentaires, Lumières incluses. La gauche doit selon le philosophe se sentir bénéficiaire de cet héritage commun en acceptant ses différences, de telle sorte à pourvoir ensuite tendre vers l'union politique des humanistes.
À une différence notable toutefois par rapport à la construction des coalitions électorales actuelles : pour Edgar Morin, ce processus ne pourra voir le jour que grâce à la « décomposition des structures partidaires existantes ».
En effet, pour y parvenir, Edgar Morin préconise de préparer « un nouveau commencement en reliant les trois souches (libertaire, socialiste, communiste), en y ajoutant la souche écologique en une tétralogie. Cela implique évidemment la décomposition des structures partidaires existantes, une grande recomposition selon une formule ample et ouverte, l'apport d'une pensée politique régénérée. »
Une nouvelle voie politique proposée par le philosophe qui ose donc davantage l'idée de tendre vers un front démocrate et citoyen moderne, plutôt que vers un front républicain construit autour de valeurs bourgeoises et de préceptes anciens et conservateurs.
Aurore Bergé, ou la quintessence de la mise en application de la stratégie de communication de la macronie
De son côté, Aurore Bergé, bien loin de se poser toutes ces questions philosophiques et politiques, n’hésite pas, au contraire, à poursuivre sur la lancée de Ferry et de Bouzou en adoptant la même stratégie discursive.
En effet, lors d'un entretien accordé à CNews le 6 mai dernier, elle déclarait : « Ce n'est pas mon histoire politique celle du Parti Socialiste, mais on a assisté finalement, en à peine quelques jours, à une liquidation d'héritage sans précédent (…) et à une dissolution, certains au sein du Parti socialiste ont dit « reddition », en faveur d'idées et de valeurs qui pourtant, normalement, ne sont pas celles du Parti socialiste. (…) Je pense notamment aux valeurs républicaines, qui sont les leurs. ».
Elle poursuit sur Jean-Luc Mélenchon : « Je pense qu'il est dangereux au regard du projet politique qu'il porte, qu'il a porté, pendant la campagne présidentielle. À la fois dangereux sur le plan économique (…). Dangereux aussi d'un point de vue républicain, on le voit dans les candidats qu'il est en train d'investir. (…) Je crois qu'il n'y a pas d’ambiguïté, je crois qu'il a un projet politique pour le coup qui est très clair, et qui n'est plus celui qu'il a d'ailleurs porté au début au sein du Parti socialiste ».
Pour Aurore Bergé, la preuve que le peuple ne voudra pas de cette gauche-là, c'est que Macron est arrivé en tête de la présidentielle : « Ce n'est pas [le] projet politique [de Mélenchon] que les français ont retenu et ont placé, contrairement au notre, en tête du 1er tour de l'élection présidentielle et qui a réussi à convaincre une majorité au second tour. Donc, je crois que par cohérence les français voudront donner une majorité au président de la République, je crois qu'on a des défis bien trop grands pour prendre le risque de l'instabilité ».
Aurore Bergé va ponctuer son propos sur un sans-faute en usant de tous les éléments de langage déjà précédemment mis en avant par son camp. Elle décide d'en remettre une dernière couche pour démontrer qu'Ensemble ! représente bien mieux les valeurs de gauche que ne peut le faire la NUPES : « je crois que si l'on veut rassembler le pays, si l'on veut unir le pays, les valeurs républicaines, universalistes et laïques qui sont les nôtres, sont celles qui sont justement le ciment de ce qui peut nous rassembler, et qui rassemble du président de la République à Bernard Cazeneuve. Encore une fois, des grandes figures qui, elles, portent ces valeurs là ».
Elle précise que la majorité présentielle est d'ores et déjà sensible aux préoccupations de l’électorat de gauche : « On a des enjeux majeurs de pouvoir d'achat (…), je souhaite que l'on puisse accompagner les ménages les plus fragiles, que l'on puisse avancer sur la question du handicap, qu'on puisse aussi avancer sur les enjeux de transition écologique ; mais sans solder le nucléaire comme le veux l'extrême-gauche ; et pour ça il faut que l'on ait une majorité ».
Tout le monde l'a compris, Aurore Bergé exhibe une cape sociale-démocrate face au supposé danger stalinien de la NUPES.
Un discours anti-NUPES assumé, asséné, relayé et entendu
Les objectifs de communication envers la gauche réalisés, la candidate dans la dixième circonscription des Yvelines va ensuite, sans sourcilier, pouvoir radicalement changer son fusil d'épaule en essayant, dans un second temps, de séduire les électeurs de droite.
En effet, juste après avoir clairement défendu les valeurs de gauche qui animeraient son camp politique (pouvoir d'achat, fragilité, handicap, écologie), Aurore Bergé va finalement reconnaître que la majorité présidentielle est en fait devenue formellement de droite, et qu'il serait donc logique que ses électeurs votent pour Renaissance : « Aujourd'hui, la principale opposition à l'Assemblée nationale, c'était le parti Les Républicains. Parti qui n'a même pas réussi à avoir 5% des voix au moment de l'élection présidentielle, parce que je pense que les électeurs de droite ont été convaincus par le projet que nous avons mis en place pendant cinq ans et le projet que nous avons porté aussi de réformes, de continuer à transformer le pays au moment de la présidentielle. Donc là encore je crois que les électeurs de droite, il n'y a aucune raison qu'ils ne viennent pas nous soutenir au moment des élections législatives ».
Il fallait oser, mais la boucle est bouclée ! Dans un premier temps, elle met en avant le « vrai PS », son héritage et les « grandes figures » politiques, « du président de la République à Bernard Cazeneuve », garantes des « valeurs républicaines », dans le but de démontrer à quel point la NUPES représente une gauche aux valeurs inversées – et donc que la voix de la raison appelle immanquablement à se ranger aux côtés d'une macronie à la sensibilité sociale-démocrate – avant, dans la foulée, d'assumer que la majorité présidentielle a fait des réformes de droite durant 5 ans, au point d'être plus légitime que Les Républicains pour les poursuivre. Avec, en fond, le souhait de voir les LR connaître un parcours similaire à celui du PS, à savoir, que le parti soit à terme absorber purement et simplement par la majorité présidentielle.
Pas un mot en revanche sur le Rassemblement national... La macronie ne s'y trompe pas, elle sait reconnaître ses ennemis.
Draguer à droite et à gauche, en décrédibilisant les LR et la NUPES, tout en ménageant le RN : Bingo ! Quitte à sombrer dans la schizophrénie politique, Aurore Bergé aura réussi lors de cette interview à cocher toutes les cases de la stratégie de communication actuellement en vigueur en macronie.
Et le message délivré par toutes ces personnalités politiques et médiatiques semble avoir été entendu par une partie de l'électorat-cible. En témoigne la prise de parole d'Anne, auditrice des Grandes gueules sur RMC, qui souhaitait répondre à la question posée par l'émission : « Législatives : possible victoire de la gauche ? ».
Anne n'est pas d'accord : « Victoire de la gauche ? Non, c'est pas la gauche! C'est l'extrême-gauche ! Donc déjà il faut savoir de quoi on parle, et je fus de gauche, donc plutôt la gauche qui a disparu (sic) : sociale, universaliste, pour la laïcité et pour le pragmatisme, et la réalité économique ». Sans toutefois développer ce qu'elle reproche précisément à la coalition de gauche, pas question pour Anne de voter NUPES car « ils ont perdu leurs fondamentaux ».
Durant son passage à l'antenne, Anne en a donc profité pour se confesser. Elle a tenu à préciser qu'elle « fut de gauche », mais estime dorénavant que sa gauche à elle est « morte », elle se sent donc à présent plus proche du pouvoir en place que de la NUPES.
Ce témoignage, d'une personne qui se qualifie elle-même de « passionnée de politique », est symptomatique des éléments de langage que souhaite asséner, et voir être répétés, ce « front républicain à la sauce législatives 2022 ». C'est précisément ce raisonnement que la macronie, et l'extrême-droite, souhaite que cet électorat-là intègre. Qu'il comprenne, en somme, qu'il n'est plus de « gauche » et que sa famille politique se situe à présent du côté des néo-libéraux qui, le temps d'un scrutin une fois tous les 5 ans, savent se grimer en rouge et noir en faisant mine de se préoccuper des questions sociales.
C'est aussi précisément ainsi que la macronie souhaite voir son narratif être relayé par les médias, exactement comme le fait ici l'émission des Grandes Gueules en choisissant de diffuser, à plus grande échelle sur son Twitter, ce témoignage-là plutôt qu'un autre.
Être de gauche : « c'est se ressourcer dans une multiple racine : libertaire, socialiste, communiste et désormais écologique »
En passant à l'antenne, Anne a mis, sans le vouloir, la lumière sur une vraie question politique existentielle : de nos jours, « qu'est ce qu'être de gauche ? ».
Une question à laquelle avait précisément tenu à répondre Edgar Morin dans une interview accordée à La Tribune en 2016 :
« À mes yeux, c'est se ressourcer dans une multiple racine : libertaire (épanouir l'individu), socialiste (amélioration de la société), communiste (communauté et fraternité), et désormais écologique afin de nouer une relation nouvelle à la nature. Être de gauche, c'est, également, rechercher l'épanouissement de l'individu, et être conscient que l'on n'est qu'une infime parcelle d'un gigantesque continuum qui a pour nom humanité. L'humanité est une aventure, et "être de gauche" invite à prendre part à cette aventure inouïe avec humilité, considération, bienveillance, exigence, créativité, altruisme et justice. Être de gauche, c'est aussi avoir le sens de l'humiliation et l'horreur de la cruauté, ce qui permet la compréhension de toutes les formes de misère, y compris sociales et morales. Être de gauche comporte toujours la capacité d'éprouver toute humiliation comme une horreur. ».
En partant de cette définition consensuelle et universaliste proposée par Edgar Morin, le lien semble de plus en plus difficile à établir entre les valeurs de gauche hétérogènes qu'il défend et les valeurs bourgeoises et « républicaines » qui animent tous ceux qui appellent aujourd'hui à rallier Macron, et sa politique néo-libérale, pour faire barrage à la NUPES.
La suite de cet article est à lire ici :
Un front républicain macroniste-lepeniste en gmarche contre la gauche [5/5]
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