Un front républicain macroniste-lepéniste en marche contre la gauche [5/5]

Auteur(s)
Wolf Wagner, journaliste indépendant pour FranceSoir
Publié le 10 juin 2022 - 22:30
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Emmanuel Macron reçoit Marine Le Pen à l'Elysée, le 6 février 2019 dans le cadre du 'grand débat national'.
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PHILIPPE WOJAZER / POOL/AFP/Archives
Emmanuel Macron et Marine Le Pen, deux figures politiques aux intérêts fluctuants.
PHILIPPE WOJAZER / POOL/AFP/Archives

CHRONIQUE — Durant cette campagne des législatives, on assiste à un consensus au sein des élites et de la macronie pour tenter de travestir le concept de « front républicain ». Le but ? S'allier implicitement avec l'extrême-droite afin de limiter la percée de la gauche au sein de l'Assemblée nationale. Lutter Ensemble ! pour la défense des « valeurs républicaines », de manière à rassembler bourgeois et autres sociaux-démocrates, non plus contre Marine Le Pen, mais contre Jean-Luc Mélenchon et contre la NUPES.

Décryptage d'une farce politicienne à la française, où les liens existants entre lepénisme et macronisme sont en réalité bien plus solides et pérennes qu'il n'y paraît : épisode 5/5.

Premier volet : Un front républicain macroniste-lepeniste en marche contre la gauche [1/5]
Deuxième volet : Un front républicain macroniste-lepéniste en marche contre la gauche [2/5]
Troisième volet : Un front républicain macroniste-lepeniste en marche contre la gauche [3/5]
Quatriième volet : Un front républicain macroniste-lepeniste en marche contre la gauche [4/5]

 

Le macronisme et le lepénisme voués à s'entendre (contre Mélenchon) ?

À lire ou à écouter les ex-éléphants du PS, ou encore Christine Boutin, Luc Ferry, Nicolas Bouzou et Aurore Bergé, cette volonté d'attaquer conjointement la gauche aux côtés de l'extrême-droite semble bel et bien actée dans le monde politico-médiatique.

En résumé, le temps des élections, la droite radicale se charge de taper sur la gauche pour faire peur à son électorat sur des thèmes clivants (immigration, islamo-gauchisme, wokisme, grand remplacement, etc), pendant que la macronie et la droite « républicaine » communiquent vers la partie la plus à droite de la gauche afin de lui rappeler où se situent ses valeurs bourgeoises et ses intérêts sociaux-démocrates, avant de bien appuyer sur le danger bolchevik d'un vote en faveur de Mélenchon.

Pour autant, ce « front républicain macroniste-lepéniste » actuellement uni dans le seul but de limiter la percée de la gauche au sein de l'Assemblée nationale, n'est-il véritablement qu'une simple alliance de circonstances ?

Ce n'est pas ce que pense Frédéric Lordon.

L'année dernière, avant même les vociférations électorales actuelles, lors d'un entretien sur Là-bas si j'y suis, le chercheur au CNRS à l'idéologie de gauche radicale assumée, dénonçait déjà un climat général anti-mélenchoniste : « Je regarde les choses à distance. Je n'ai pas de carte de la France Insoumise. Je regarde le personnage Mélenchon de loin et je dirais d'un œil froid. J'observe une chose, c'est que dans le paysage politique, Mélenchon est probablement celui qui (…) fait l'objet du traitement de défaveur le plus appuyé de la totalité des médias (…) Des médias mainstream disons. Il est l'objet d'un déferlement de détestation proprement viscéral. (…) Je regarde ça et je me dis que c'est un bon signe. Quelqu'un qui s'attire une telle haine universelle des institutions formelles et informelles de la démocratie bourgeoise n'est pas complètement un mauvais sujet. ».

Frédéric Lordon avait même anticipé la possibilité que le « front républicain » moderne puisse à terme déboucher sur un rapprochement entre macronisme et lepenisme : « Je l'ai écrit il y a des années, que cette connerie de front républicain pourrait se donner une nouvelle occurrence en se reformant contre Mélenchon. Je suis prêt à parier que Mélenchon contre Le Pen (…), le front républicain n'est pas du tout garanti en faveur de Mélenchon. (…) Pour une raison extrêmement simple, on voit bien que les grands médias sont possédés par des milliardaires, or le capital fait très très bien la différence du point de vue de ses propres intérêts entre Marine Le Pen et un Mélenchon... Très très bien hein ! Le capital sait parfaitement qu'avec Marine Le Pen, rien ne change. Tout est ok pour lui, y'aura pas le moindre problème. Avec Mélenchon, bon, c'est pas le grand soir, mais dans la tête d'un capitaliste « si si », c'est déjà le grand soir ! ».

En résumé, pour Lordon, les liens d'intérêts bourgeois et capitalistes entre macronisme et lepénisme sont si forts que ces courants politiques s'uniront de toutes les manières toujours face à la menace Mélenchon.

Un rapprochement entre ces deux courants jugé de plus en plus ostensible par Clémentine Autain qui estime que, lors du premier quinquennat d'Emmanuel Macron, le pouvoir a « donné des gages, d'une certaine manière, à l'extrême-droite sur de très nombreux thèmes ». Il a « brouillé profondément les pistes ». La candidate NUPES cite notamment les propos de Frédérique Vidal, ministre de l'Enseignement supérieur, qui avait qualifié l'université de « laboratoire d'islamo-gauchiste ». Une rhétorique, qui, avant l'arrivée de la macronie au pouvoir, était limitée aux éléments de langage des membres du RN et autres personnalités de l'ultra-droite.

 

« Le macron-lepénisme existe déjà ! »

« Il y a entre macronisme et lepénisme une complicité, peut-être même une tendresse » 

 

À cela, il faut aussi ajouter la loi contre le séparatisme qui a vu le jour durant la précédente mandature. Une loi liberticide qui, au nom de valeurs dites-républicaines et en se servant du prétexte du terrorisme islamiste, mêle autoritarisme et stigmatisation de toute forme d'opposition idéologique, qu'elle provienne de français de confession musulmane ou non. Une loi qui fait largement écho aux aspirations politiques de l'extrême-droite française.

Début 2020, dans un contexte particulièrement marqué par les conflits sociaux (Gilets jaunes, réforme des retraites) et encore peu impacté par la crise sanitaire, Emmanuel Todd présentait son livre Les luttes de classes en France au XXIe siècle. Déjà à l'époque, il n’hésitait pas à aller encore plus loin que Lordon. Il qualifiait de « macron-lepénisme » la connivence entre ces deux courants politiques. Il expliquait comment, selon lui, la macronie avait viré à droite par obligation face au soulèvement insurrectionnel des Gilets jaunes : « ce qui monte en puissance (…), c'est l'État dans sa fonction première d'appareil répressif. (…) Ce qu'on a vu monter en puissance, à part les énarques, c'est la police. Macron et son équipe, c'est des gens qui ont mis en liberté la police, qui ont ramené les types qui étaient habitués à taper sur les jeunes de banlieue – c'est ce que j'appelle « le flashball pour tous » – dans Paris ou ailleurs pour taper sur des Français de province. Et la police est devenue tellement essentielle qu'ils ont ; qu'on leur vote ; des primes. Elle a été dispensée de la retraite soi-disant universelle, donc la police devient une caste en liberté ».

Pour Emmanuel Todd, « le macron-lepénisme existe déjà » ©ERIC FEFERBERG / AFP/Archives
Pour Emmanuel Todd, « le macron-lepénisme existe déjà » ©ERIC FEFERBERG / AFP/Archives

 

L'anthropologue, démographe et essayiste pousse encore un peu plus loin son raisonnement en citant une étude de l'IFOP qui révèle que 51% des gendarmes interrogés ont voté pour Marine Le Pen en 2012, ce qui fait dire à Emmanuel Todd que : « ce qu'on a empiriquement en France actuellement, c'est une haute bureaucratie en liberté qui utilise une police qui vote Front national (ndla : Rassemblement national). Dans les faits, le macron-lepénisme existe déjà. Parce que si Marine Le Pen voulait que les violences policières cessent, elle n'aurait qu'à faire trois discours... donc le macron-lepénisme est déjà quelque chose qui existe. ».

Emmanuel Todd persiste et signe, toujours début 2020, dans un entretien fleuve accordé au site LSLV, dans lequel il explique : « Macron a percé en acceptant l’axiome de base du FN : l’UMPS. Ce deuxième point commun, pour qui connaît l’histoire de la démocratie représentative, nous place sur un terrain fascistoïde puisque le fascisme est le premier à avoir prétendu dépasser le clivage gauche-droite et l’alternance qu’il permet… Enfin, disons plutôt proto-fasciste. La violence verbale contre des Français est aussi commune aux deux forces. Macronisme et lepénisme ont en commun un idéal d’inégalité des hommes : winners supérieurs contre losers, vrais Français contre immigrés. Il y a ainsi entre macronisme et lepénisme une complicité, peut-être même une tendresse. ».

Le démographe accuse également les médias dominants de participer à cette fausse opposition entre Macron et Le Pen : « Là où BFMTV et L’Express nous reparlent d’un affrontement horizontal titanesque entre une Marine Le Pen, dont tout le monde sait qu’elle est incapable de gouverner depuis le débat télévisé de l’entre-deux-tours (ndla : de 2017), et un Emmanuel Macron libéral et républicain, on a en fait un axe vertical étatique (énarques-police) avec le macro-lepenisme plutôt qu’une opposition horizontale. ».

Un ancien conseiller du chef de l'État investi par Renaissance dans la treizième circonscription de Paris, David Amiel alias « le candidat d'Emmanuel Macron » comme le précise son affiche de campagne, va en partie donner du corps à l'analyse partagée par Emmanuel Todd et par Frédéric Lordon. Il explique pourquoi, en fin de compte, le macronisme entend, en plus des sempiternels sujets sur l'islam, sur les migrants ou sur la sécurité, reprendre un autre des thèmes phares du lepenisme.

 

« La souveraineté », nouveau thème préféré de la macronie pour draguer à droite ?

 

Dans une interview réalisée sur Radio J, Christophe Barbier demande au candidat si l'apparition du terme « souveraineté » dans l'intitulé des ministères de l'Agriculture et de l'Industrie a pour but de « voler ce thème aux souverainistes ? ».

La réponse d'Amiel laisse perplexe : « Je crois qu'on a eu tort, surtout, de laisser ce thème aux souverainistes. On a laissé pendant trop longtemps, à gauche et à droite, ce thème de la souveraineté à ceux qui se prétendaient souverainistes, puisque l'indépendance de la France, de ses valeurs, de ses principes, devrait faire plutôt consensus. Et en réalité, la souveraineté est menacée par qui dans le paysage politique ? Eh bien, par ceux qui à l'extrême-gauche sont prêts à rompre les alliances traditionnelles au sein de l'OTAN, qui font comme si l'OTAN était l'agresseur, et la Russie l'agressée. Par ceux qui veulent désobéir aux règles européennes, et donc à terme sortir de l'Union européenne et affaiblir la position de la France dans le monde

Affiche de campagne de David Amiel, « le candidat d'Emmanuel Macron » dans la treizième circonscription de Paris.
Affiche de campagne de David Amiel, « le candidat d'Emmanuel Macron » dans la treizième circonscription de Paris.

 

Si l'on résume les arguments de David Amiel :

- Les souverainistes d'hier (RN) se « prétendaient » l'être... alors qu'ils ne l'étaient pas vraiment.

- Les souverainistes d'aujourd'hui (NUPES, ou plutôt « l'extrême-gauche ») souhaitent « sortir de l'OTAN et de l'UE » et donc « affaiblir la France », c'est pourquoi il faut les en empêcher.

- A contrario, le parti Renaissance incarne à présent le vrai défenseur de la souveraineté nationale puisqu'il s'appuie sur des « principes qui devraient faire consensus ».

Selon la logique de David Amiel, la majorité présidentielle serait donc composée de vrais souverainistes qui, pour l'occasion, acceptent de marcher aux côtés des anciens faux-souverainistes du RN (qui ne sont ni nommés ni invectivés), afin de faire barrage aux nouveaux faux-souverainistes d'extrême-gauche (qui, eux, sont longuement vilipendés) !

Légèrement tirée par les cheveux comme réflexion, mais limpide en termes de stratégie politique et de communication !

Autre constat amusant, celui de citer l'attachement à l'OTAN comme preuve de souveraineté. Idem pour l'UE. Quel que soit le parti-pris idéologique de chacun sur ces deux entités, il paraît paradoxal de défendre un idéal de souveraineté nationale tout en citant l'OTAN et l'UE, deux structures supranationales, l'une politique et l'autre militaire.

Entre pro et anti-UE et/ou OTAN, les débats tournent en général davantage autour des questions du bénéfice, ou non, que représente l'intégration de la France en leur sein. Et si les désaccords sont sérieux sur ce point, il est en revanche communément entendu par tous qu'à partir du moment où notre pays s'investit au sein de l'UE et de l'OTAN, c'est évidemment parce qu'il accepte de transférer une part de sa souveraineté. Il est incontestable que d'un côté l'UE impose des normes et ses lois supranationales à la France, tandis que de l'autre, l'OTAN peut entraîner nos forces militaires dans un conflit armé sans que les frontières ou les intérêts supérieurs de la nation ne soient initialement menacés.

Dommage également que sur ce même sujet, David Amiel omette de rappeler que la personne qui vient récemment de déclarer accepter délaisser une part de la souveraineté française en faveur de l'OMS n'est pas Jean-Luc Mélenchon, ni Marine Le Pen, mais bien Emmanuel Macron (ndla : version complète de l'allocution).

Z_Caricature, pour France-Soir
Z_Caricature, pour France-Soir

 

En quelques phrases, le candidat de la treizième circonscription de Paris vient de démontrer ce qu'est la vraie politique politicienne. Un monde où l'on peut dire tout et son contraire. Se targuer d'être de vrais souverainistes, face aux pâles copies dangereuses du passé et du présent, tout en revendiquant son attachement aux deux structures les plus contraignantes en matière de souveraineté nationale.

Il serait maladroit de penser que ce discours aberrant et contradictoire de David Amiel ne serait que le fruit d'une mauvaise communication de sa part. Au contraire, en tant qu'ancien conseiller d'Emmanuel Macron à l'Élysée, l'intéressé sait parfaitement ce qu’il fait. Cette volonté de ratisser large, y compris sur les plates-bandes du RN, ou comme Aurore Bergé sur celles du PS et des LR, démontre que le parti au pouvoir a surtout du mal à contenir ses impulsions fascistes. De par sa position centrale sur l'échiquier politique, il souhaite visiblement radicaliser les extrêmes pour mieux absorber les partis existants en cherchant à unifier tous les courants politiques derrière une seule et même formation : Renaissance... Parti, nouveau-né, dont le nom résonne différemment une fois cette-dernière analyse développée.

En définitive, ce « front républicain », s'il a eu un sens par le passé, n'est aujourd'hui rien d'autre que de la novlangue. Une expression fourre-tout qui évolue au gré du dessein des élites. Dans le domaine de la politique politicienne, pour le peuple cela fait de toute façon déjà longtemps que les mots n'ont plus aucun sens.

 

Quid des consignes de vote de Ensemble ! en cas de second tour RN-NUPES ?

 

Pour l'heure, l'entre-deux-tours des élections législatives reste quoiqu'il en soit encore une grande inconnue.

Si par exemple, dès le premier tour, la NUPES réalisait une vraie percée dans les urnes, quid de la réaction du bloc bourgeois lors d'éventuelles triangulaires RN-Ensemble !-NUPES où le candidat de Ensemble ! n'aurait aucune chance de victoire ? La majorité présidentielle le maintiendra-t-elle ? Sinon derrière qui proposera-t-elle de se ranger ?

Selon la définition originelle du front républicain, le désistement devrait se faire en faveur du candidat de gauche, et donc de la NUPES, sauf qu'il paraît à présent évident que cet état de fait est fortement remis en question. Il devient à présent envisageable de voir les candidats de Ensemble ! maintenir leur candidature en communiquant sur l'idée de devoir « s'opposer aux extrêmes, de droite comme de gauche ».

Et si dans les circonscriptions où elle sera écartée dès le premier tour la majorité présidentielle incitera vraisemblablement à voter pour les LR, quid des cas où les candidats de Ensemble ! et des Républicains seraient tous les deux éliminés ? Comment réagirait alors la macronie ? Quelles seraient ses consignes de vote, sur qui se porteraient ses voix entre NUPES et RN ?

Pour Jean-Christophe Cambadélis, pas d'inquiétude à avoir outre-mesure pour le bloc bourgeois, « beaucoup de Français seront enthousiastes et favorables » à la NUPES, « il peut y avoir un très bon premier tour, mais on se heurtera au second à la réalité du rapport de force dans le pays ». Cambadélis part du principe que Mélenchon s'est positionné trop à gauche, il n'a donc plus de voix de réserve pour le second tour : « là vous allez faire un très bon premier tour » en absorbant toute la gauche, « on aura tout ça, et puis, au deuxième tour on se tournera sur notre gauche, il n'y aura personne, parce que ce n'est pas le NPA et Lutte ouvrière qui apporteront les voix, et on se tournera vers le centre, et je ne vois pas Emmanuel Macron donner des consignes pour voter pour Jean-Luc Mélenchon. ».

Pour l'ex-Premier secrétaire du PS, Macron n'appellera donc pas à voter pour un candidat NUPES. À l'en croire, il ne restera alors plus qu'au président de la République l'option RN ou le « ni-ni ». Décision qui, selon Ouest-France, reviendrait, dans un cas comme dans l'autre, à reconnaître que le « RN est un parti comme les autres ». Embêtant !

Un vrai casse-tête en approche du côté de la présidence, tant le narratif présenté au cours des dernières années visait à diaboliser le RN. Comment dès lors réussir à expliquer ne plus vouloir lui faire barrage aujourd'hui ?

Quels que soient les comptes d’apothicaires à venir durant l'entre-deux-tours, il faudra dans tous les cas attendre la fin du mois de juin pour commencer à dessiner ce que pourra être le rapport de force au sein de l'Assemblée nationale. Bien qu'un grand bouleversement paraisse improbable, selon les scores de chaque groupe, la gestion législative du pays et la liberté d'action de l’exécutif différeront indéniablement.

Un jeu de coalitions incertain

Sauf raz de marée électoral pour l'une des formations, il n'est pas improbable que nous assistions au sein de l'Assemblée à un jeu de coalitions auquel nous n'avions plus l'habitude depuis des lustres.

Puisqu'en cette période électorale, beaucoup font référence à cette époque de l'Histoire, il est intéressant de remonter à la fin du Front Populaire pour saisir le poids que représente les alliances politiques dans la gestion d'un parlement.

En 1938, au crépuscule d'une IIIe République qui offrait un puissant pouvoir à l'Assemblée, Léon Blum perd la présidence du Conseil suite à un jeu de coalitions. Des partis de gauche vont finalement tourner casaque au sein de l'hémicycle en s'alliant avec la droite pour faire chuter le mythique Front Populaire à peine deux ans après son arrivée au pouvoir... juste avant de laisser Daladier, le nouveau président du Conseil issu de l'un des partis frondeurs (le PRRRS, c'est-à-dire le parti radical – et républicain – de gauche), signer les accords de Munich et offrir la France au fascisme quelques mois plus tard.

De gauche à droite : Neville Chamberlain, Édouard Daladier, Adolf Hitler, Benito Mussolini et son gendre le comte Galeazzo Ciano, lors de la conférence de Munich le 29 septembre 1938. ©Wikicommons
De gauche à droite : Neville Chamberlain, Édouard Daladier, Adolf Hitler, Benito Mussolini et son gendre le comte Galeazzo Ciano, lors de la conférence de Munich le 29 septembre 1938. ©Wikicommons

Si l'Assemblée nationale de la Ve République n'est certes plus celle de la troisième, pour autant, certains mécanismes restent proches.

Le point essentiel à comprendre, c'est qu'en fonction de la proportion du ralliement à elle d'une partie de la gauche dans les urnes plutôt qu'en faveur de la NUPES, la macronie pourra plus facilement imposer sa légitimité républicaine sans avoir besoin du soutien des députés LR, mais surtout des députés RN, lors des votes les plus disputés à l'Assemblée.

« Le coup de Daladier » que le président de la République avait d'une certaine façon réussi à appliquer en 2017 en se faisant élire par la gauche, mais en gouvernant avec le soutien des députés de droite, n'est plus envisageable en 2022. La faute à Emmanuel Macron dont la politique a justement trop sévèrement tangué à droite pendant cinq ans, et la faute à un Mélenchon qui a, entre-temps, plutôt bien réussi à réunir toute la gauche derrière une seule et même bannière. La réserve de voix à gauche de la macronie est ainsi aujourd'hui bien plus limitée. Elle se sait davantage handicapée qu'en 2017 pour dominer de manière aussi hégémonique l'Assemblée avec ses seuls députés, puisque si le soutien d'une partie de la gauche venait à manquer pour faire élire ses troupes, la majorité présidentielle dépendrait alors davantage de ses alliés de droite pour gouverner.

Une loi comme celle de « la sécurité globale », aux aspirations des plus liberticides, a été largement adoptée en 2021. Le bloc de droite, emmené par les néo-libéraux du « centre », avait copieusement voté pour. Les quelques votes du RN en faveur de cette loi ne pesaient à l'époque absolument rien dans la balance.

Or, si lors du renouvellement de l'Assemblée nationale, d'un côté la NUPES réalise un meilleur score que l'ensemble de la gauche de 2017 et récupère au moins une centaine de sièges, phagocytant par là même une partie significative du PS, et que, de l'autre, le RN fait lui aussi un bon score, fatalement le nombre de sièges encore disponibles pour la macronie et pour la droite va se réduire. Conséquence directe : lors des futurs scrutins au sein de l'hémicycle, la proportion de votes du RN en faveur des textes proposés par la majorité présidentielle sera bien plus importante dans le décompte final, tout en étant bien plus visible aux yeux de tous.

Il ne sera alors plus interdit de parler de coalition et/ou d'union claire, nette et précise, entre la macronie et l'extrême-droite. Une connivence déjà constatée au cours des cinq dernières années, mais que la majorité présidentielle aime néanmoins minimiser pour ne pas perdre de crédit auprès de l’électorat de gauche bourgeois sur lequel elle a encore besoin de s'appuyer.

C'est donc un enjeu de taille pour l'image que souhaite à terme renvoyer la majorité présidentielle. Vu d'une opinion publique qui s'intéresse de loin à la politique, elle ne sera pas jugée pareil si elle doit parfois dépendre du vote des membres du RN pour faire adopter ses lois, ou si elle est en mesure de systématiquement s'en passer grâce à une aile gauche suffisamment importante dans ses rangs.

D'où, dans un premier temps, l'alliance actuelle implicite entre Marine Le Pen et Ensemble ! afin de consolider, d'abord et avant tout, un bloc de droite fort capable de régner sur l'Assemblée. Et d'où, dans un second temps, ce discours obstiné visant à convaincre le plus de personnes de la partie « la plus à droite de la gauche » d'être effrayées par la coalition de gauche et, donc, de rejoindre Renaissance ou Ensemble !, de telle sorte à limiter l'invasion de députés de la NUPES au sein de l'hémicycle... de quoi sauver l'image d'une majorité présidentielle « et de droite, et de gauche ».

D'autant que l'enjeu essentiel restant justement le pouvoir, il est prévisible, comme le soumet Lordon, qu'au moment de voter les lois – qu'importent le rapport de force parlementaire final et le nombre de sièges attribués à chaque camp, et tant que la NUPES ne remporte pas la majorité absolue – l'extrême-droite, la droite et le centre s'allieront à nouveau de toute manière instinctivement sur les questions sécuritaires et économiques, exactement comme ils le font durant cette campagne. De quoi, dans tous les cas, permettre à l'exécutif de jouir d'une majorité solide tout au long de la mandature lors du vote des textes de loi relatif à ces thèmes de droite. À commencer par la réforme des retraites que le gouvernement entend bien mener à son terme.

À l'inverse, concernant les sujets autres que ceux habituellement chers à la droite et sans une majorité absolue de sièges attribuée à Ensemble !, il peut également être envisageable au cours des cinq prochaines années de voir l'émergence au sein de l'hémicycle d'un « front républicain » d'une nouvelle nature, à savoir, celui du « tout sauf Macron ». Avec une accointance spontanée entre les forces de gauche et celles de droite, sur le même registre que ce que nous avions pu constater lors des votes touchant au pass vaccinal. Si, à l'époque, la macronie n'avait pas eu une telle majorité écrasante de députés, ses textes auraient été repoussés tant les oppositions étaient fortes et déterminées à faire fi des clivages habituels, y compris chez certains députés LREM.

Autre point qui pose question : du côté de la gauche, quand bien même la NUPES arriverait à faire un gros score, voire à rafler la majorité des sièges (ce qui semble à l'heure actuelle improbable), il restera de toute façon encore beaucoup d'interrogations sur la capacité de cette jeune alliance à ne pas se désunir en fonction du type de textes à voter. Comme l'a démontré autrefois le « coup de Daladier » vis-à-vis du Front populaire - ou plus récemment la polémique amorcée par Fabien Roussel sur l'affaire Taha Bouhafs – la pire ennemie de ce type de coalitions politiques est souvent la coalition elle-même. Arriver à faire cohabiter des forces aussi hétérogènes s'avérera assurément périlleux... mais existe-t-il une seule autre option pour permettre à la gauche de tenter d'exister lors de ce quinquennat ?

 

« Résister à la barbarie qui monte »

 

Pour Edgar Morin, plutôt que de chercher à s'enfermer dans ce type d'alliances partisanes à visée électoraliste, l'espoir du renouveau de l'esprit de « la » gauche doit davantage se chercher dans sa capacité à se nourrir du meilleur pour combattre le pire : « il nous faut d'abord résister à la barbarie qui monte. Mais le "non" d'une résistance doit se nourrir d'un "oui" à nos aspirations. La résistance à tout ce qui dégrade l'homme par l'homme, aux asservissements, aux mépris, aux humiliations, se nourrit de l'aspiration, non pas au meilleur des mondes, mais à un monde meilleur. Cette aspiration, qui n'a cessé de naître et renaître au cours de l'histoire humaine, renaîtra encore. ».

Edgar Morin, philosophe et sociologue, aspire à « un monde meilleur » ©BERTRAND GUAY / AFP
Edgar Morin, philosophe et sociologue, aspire à « un monde meilleur » ©BERTRAND GUAY / AFP

Une aspiration que la NUPES aimerait très certainement incarner, elle qui a eu le mérite d'insuffler un nouvel espoir à cette morne gauche de ce premier quart du XXIe siècle, mais dont la structure politique ne semble toutefois pas répondre aux critères édictés par le philosophe, puisque selon lui cette aspiration nouvelle ne pourra voir le jour que grâce à la « décomposition des structures partidaires existantes ».

Un besoin primaire décrété par Edgar Morin qui ne coïncide pas franchement avec l'ossature de cette nouvelle coalition de gauche, tant celle-ci semble encore beaucoup trop partisane, exclusive et pyramidale pour véritablement prétendre révolutionner la manière de faire de la politique.

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