Attentat - Appel à l'abstention ou voter Marine Le Pen : les djihadistes et la présidentielle

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Stéphane Mantoux avec la rédaction de FranceSoir.fr
Publié le 22 avril 2017 - 15:08
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Des policiers bloquent l'accès aux Champs-Elysées à Paris où un policier a été tué, le 20 avril 2017
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© Ludovic MARIN / AFP
L'attentat, à trois jours du premier tour de l'élection présidentielle, n'est malheureusement pas une surprise.
© Ludovic MARIN / AFP
Les élections présidentielles sont ambivalentes pour les djihadistes, allant tout à la fois à l'encontre de leur doctrine tout en leur permettant de répandre leur idéologie. Stéphane Mantoux, agrégé d'Histoire, spécialiste des questions de défense et observateur de référence de la stratégie de l'Etat islamique, décrypte et analyse en partenariat avec "FranceSoir", les positions défendues par les organisations djihadistes à propos du scrutin présidentiel français.

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Le 20 avril 2017, vers 20h50, un assaillant ouvre le feu, avec un fusil d'assaut, à hauteur du 102 de l'avenue des Champs-Elysées, devant le magasin Mark & Spencer, sur un véhicule de police à l'arrêt au niveau d'un feu rouge, en surveillance statique (32e compagnie d’intervention de la direction de l’ordre public et de la circulation de la préfecture de police de Paris, DOPC). Un policier est tué, deux autres policiers sont blessés, de même qu'une touriste présente sur les lieux; l'assaillant est abattu dans l'échange de tirs qui s'ensuit. Dans sa voiture, les policiers trouvent un fusil à pompe et des armes blanches en plus du fusil d'assaut qui lui a servi à commettre son attaque, ainsi qu'un Coran, et des notes manuscrites montrant un rapprochement avec l'Etat Islamique, l'adresse de la DGSI, d'un commissariat de Lagny et de plusieurs armureries.

L'agresseur est Karim Cheurfi, un homme âgé de 39 ans, né à Livry-Gargan en Seine- Saint-Denis, connu des services de police depuis 2001 pour des faits de violence contre des policiers. Son domicile a été perquisitionné dans la nuit de jeudi 20 à vendredi 21 à Chelles, en Seine-et-Marne; un livret salafiste aurait été retrouvé chez sa mère. Il avait été arrêté en février dernier avant d'être remis en liberté, faute de preuve, pour avoir cherché à se procurer des armes afin de s'en prendre à des policiers. Il avait été condamné en 2005 pour avoir blessé un policier quatre ans plus tôt, avant de s'attaquer de nouveau à un autre fonctionnaire de police quelques jours plus tard. Il était sorti de prison en 2015; officiellement les autorités déclarent qu'il n'avait pas montré de signes de radicalisation en prison. Des témoins indiquent qu'il était isolé, renfermé, qu'il vouait une haine particulière à la police, sans forcément faire preuve d'une religiosité particulière. Il aurait peut-être effectué des séjours à l'étranger pendant son contrôle judiciaire, entre 2015-2017; toujours est-il qu'il ne s'y présentait plus ces derniers temps.

L'Etat islamique revendique l'attaque assez rapidement via son agence Amaq, ce qui laisse penser à des liens suffisamment étroits avec l'assaillant (qualifié d'ailleurs de "combattant", et non "soldat de l'EI", comme c'est d'usage). Le communiqué donne la kunya (nom de guerre) d'Abou Yusuf al-Belgiki, ce qui peut sembler étonnant: cependant, il est souvent arrivé par le passé que des terroristes aient la kunya renvoyant à la Belgique simplement pour y avoir résidé un temps, ce n'est donc pas forcément une erreur stricto sensu, même si le doute reste permis. D'autant que la Belgique avait lancé un mandat d'arrêt contre une personne qui semblait correspondre à l'assaillant: piste qui au final s'est avérée erronée. Alors le groupe salafiste a-t-il commis une faute dans la précipitation, donnant le nom d'un complice ou d'une tierce personne qui n'était pas encore passée à l'acte?

Le communiqué Amaq de l'EI revendiquant l'attaque sur les Champs-Elysées.

L'attentat, à trois jours du premier tour de l'élection présidentielle, n'est malheureusement pas une surprise. Les Français djihadistes ou partisans de l'Etat islamique en ligne se sont beaucoup manifestés sur l'élection présidentielle de 2017. Dans la mouvance islamiste, la légitimité des élections démocratiques et le statut de ceux qui y participent sont fondamentaux. Pour les djihadistes, ils vont à l'encontre de la hakimiyyah (le principe selon lequel Allah est le seul à pouvoir gouverner, légiférer, juger). C'est pourquoi les djihadistes considèrent les dirigeants occidentaux et arabes comme des tawaghit – des idôlatres qui se substituent à Allah en dehors du cadre de la sharia. Au-delà de l'aspect idéologique, les djihadistes se servent des élections pour se poser en alternative d'un "islam de France" fidèle aux valeurs de la République, et aux Frères musulmans, en perte de vitesse. Là où l'EI proscrit totalement la participation aux élections et considère ceux qui votent comme des mécréants, Al-Qaïda a une position différente et ne condamne pas d'emblée tous les musulmans qui vont voter. Daech, dans son magazine Dar al Islam n°10 d'août 2016, avait condamné à l'exécution Rachid Abou Houdeyfa, un jeune prêcheur salafiste qui invitait à participer aux élections.

Omar Diaby, alias Omar Omsen, dirige une petite brigade de combattants français en Syrie, Firqatul Ghuraba. Cette brigade est proche d'Hayat Tahrir al-Sham, la nouvelle coalition formée en janvier dernier autour de l'ex-branche syrienne d'al-Qaïda (formellement du moins), Jabhat Fateh al-Cham, ex front al-Nosra. Dans la première partie de son dyptique vidéo Comme des lions, paru en février-mars dernier, Omar Diaby appelle explicitement les Français à voter Marine Le Pen, pour, dit-il, obtenir le retrait des soldats français de la coalition.

Propos tenus par Omar Diaby/Omsen dans la dernière vidéo de son organe de propagande, "Comme des lions", février 2017.

En réalité l'objectif est double: provoquer effectivement le départ des troupes françaises qui participent à la coalition contre les djihadistes sur le théâtre syro-irakien, mais également favoriser l'arrivée de nouvelles recrues de par le climat qu'ils anticipent suite à une arrivée au pouvoir de Marine Le Pen en France, favorisant les tensions dans le pays. Des partisans de l'EI ou autres groupes djihadistes postent des montages photos montrant des cartes d'électeur en train de brûler; une femme sur Twitter montre une photo où elle prétend avoir inscrit "Taghawit" sur des affiches électorales. Les réseaux sociaux relayant des contenus djihadistes appellent à ne pas voter aux élections et diffusent de nombreux posters pour supporter l'idée. Un djihadiste français toujours en Syrie partage la photo d'un panneau de l'EI où est marqué: "La démocratie est la religion de l'Occident".

Panneau dans le territoire de l'EI en Syrie : "La démocratie est la religion de l'Occident".

Exemple de poster diffusé par les partisans des groupes djihadistes sur les réseaux sociaux, appelant à boycotter les élections.

Jeudi matin, avant l'attentat des Champs-Elysées, des affiches de propagande islamiste ont été retrouvées à côté de la mosquée de Limeil-Brévannes et sur la porte de celle de Créteil. Ces affiches appellent les musulmans à boycotter les élections présidentielles; d'après l'affiche, voter aux élections relève du shirk, autrement dit "l'associationnisme", l'idolâtrie ou le polythéisme, un terme fréquemment employé, par exemple, dans les vidéos de propagande de l'Etat Islamique. Il reste à déterminer l'origine de ces affiches.

A gauche, un poster diffusé par les djihadistes pour boycotter les élections ; à droite exemple d'affiche collée hier, avant l'attentat, sur les mosquées de Bréveil-Limannes et Créteil. On retrouve le terme shirk à chaque fois. Reste à savoir qui a collé les affiches...

Néanmoins, on ne peut exclure que Daech, en particulier, cherche à commettre d'autres attaques durant la période de l'élection présidentielle, pour les raisons évoquées ci-dessus. Après les attentats de Londres du 22 mars 2017, notamment, l'EI a diffusé massivement des messages de son ancien porte-parole, Abou Mohammed Al-Adnani, appelant à commettre des attentats en Europe, et un responsable du département francophone des médias des djihadistes a relayé ce message sur les réseaux sociaux, en y associant la photo d'un soldat français diffusée dans le cadre des opérations antiterroristes de sécurité nationale du gouvernement français.

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