Renverser le paradigme de l'énergie : les low-tech, la question de l'innovation et des besoins réels... Entretien avec Jean Chéry (partie 2/2)
PAUSE/ÉNERGIE - Deuxième partie de cet entretien avec Jean Chéry (voir ici la partie 1), directeur de recherche au CNRS, au laboratoire Géosciences de Montpellier, chercheur en géophysique et géodésie (1). Certaines découvertes dans le domaine de l'énergie, issues de la sphère des low-tech, n'intéressent pas toujours les industriels. En effet, les systèmes de "basse technologie", utiles pour leur "valeur d'usage", génèrent peu de profits. Par contraste, les systèmes dits high-tech ont une excellente profitabilité, et sont mis en avant au sein d'une économie mercantile, souvent à l'encontre des intérêts du consommateur. "L'économie de marché domine complètement l'action politique" et la société civile doit "essayer quelque chose de différent" pour amorcer un vrai changement dans le domaine de l'énergie. "Il n'y a pas tant besoin d'innovation", précise Jean Chéry, que de "d'utiliser les inventions existantes pour satisfaire les gens". Pour ce faire, le chercheur veut sortir de la dichotomie "croissance/décroissance", sortir de l'obsession du PIB et redéfinir les besoins réels en renouant avec "le savoir de la main". Pour cela Jean Chéry mobilise dans son ouvrage "Le Monde des Non-C" (voir plus bas), la technique, la philosophie et l'histoire en rappelant la nécessité de voir la science et les scientifiques se "déspécialiser".
De formation initiale en physique et géophysique, les recherches de Jean Chéry portent sur l'étude des chaînes de montagnes, des séismes et des volcans. Mais lors d'une collaboration avec un grand groupe pétrolier, afin de développer des appareils de mesure de la déformation, c'est le déclic. En effet, il participe à un projet sur l'optimisation de l'extraction des gaz de schiste en Argentine. Or, le chercheur s'était opposé en tant que citoyen à l'exploitation de ce type de gaz en France, dans les années 2010. Un paradoxe qui va entraîner chez lui une prise de conscience.
De fait, ce nouveau type d'extraction, polluant, ne représente qu'une tentative alambiquée d'ajouter une nouvelle couche au mille feuilles énergétique des énergies fossiles : charbon, pétrole, gaz naturel et leurs dérivés. Son objectif se cantonne à essayer de répondre aux besoins illimités de la sphère économique et commerciale en matière de ressources, en se reposant sur un réseau de distribution mondialisé, lui-même très énergivore. Le serpent se mord la queue.
Alors que faire ? Jean Chéry décide "d'approfondir le problème de l'énergie" et porte les fruits de sa réflexion dans un ouvrage intitulé "Le Monde des Non-C, écosystème d'une révolution énergétique".
Le Monde des Non-C est d'abord celui des "non-consommateurs". Autrement dit un monde qui change de paradigme à propos de l'énergie et qui ne se contente pas du slogan de la "transition énergétique" qui ne répond pas aux problèmes de fond.
La réflexion est globale et les solutions doivent être locales : comment se concentrer sur l'essentiel utile à tous, au plus près de chez soi, comme chauffer son habitat ? Le soleil offre une solution immédiate et Jean Chéry détaille dans ce Pause comment, concrètement, envisager un usage low-tech de l'énergie solaire, par usage direct de la chaleur à basse température, associé à un stockage de masse, pour assurer le chauffage des habitations.
À plus haute température, l'énergie thermique peut être convertie en électricité, par des moyens thermodynamiques (par exemple des moteurs Stirling ou des turbines à vapeur d'eau surchauffée). Les low-tech sont ici au rendez-vous, indispensables pour sortir d'une spirale industrielle gourmande en métaux rares dont le coût d'extraction ne va que croissant. Les solutions high-tech apparaissent comme un frein qui empêchent le développement d'une énergie solaire thermique, abondante, locale et à faible coût.
L'ouvrage, publié à compte d'auteur en 2021, aborde ce thème de l'énergie en dépassant les impasses des sociétés occidentales en la matière. Jean Chéry n'élude pas en préambule une véritable critique de la science, que la spécialisation a rendue aveugle à une approche globale de l'énergie. Il apporte une réflexion littéralement philosophique sur la nécessité de changer notre point de vue sur ces questions afin d'avancer réellement vers un monde plus propre, plus écolo et, pourquoi pas, pour le même prix, moins inégalitaire.
- Site web de Jean Chéry : https://www.le-monde-des-non-c.org/
Note :
(1) La géophysique est l'étude des propriétés physiques des sols et des roches, dans le but de caractériser leurs constituants. Elle permet une reconnaissance non destructive de l'intérieur de la terre, des zones superficielles jusqu'au noyau terrestre. La géodésie est l'étude et l'observation de la forme de la Terre, sous ses aspects physiques et mathématiques.
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