Cahuzac II, le retour ou quand l’amour-propre ne le reste jamais très longtemps...
PORTRAIT CRACHE - Si on lui doit la création du parquet national financier (PNF), ce n’est ni par décret, ni par un projet de loi, mais par une affaire qui porte son nom et qui l’éloignera pendant une décennie de la scène politique. Il s’agit ici de l'inénarrable Jérôme Cahuzac, ancien ministre délégué au Budget sous François Hollande, condamné pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale entre autres, un comble, comme le lui fera remarquer le juge, pour un membre du gouvernement qui incarnait la lutte contre cette infamie. La carrière politique de l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, c’est 30 ans et plus de militantisme au sein du Parti socialiste (PS), durant lesquelles il aura été le fameux député “donneur de leçons” sur les questions fiscales, et président de la commission des Finances de l’Assemblée, le tout “soldé”, entre autres, par des affaires concernant deux comptes offshore non déclarés.
Membre du Parti socialiste depuis ses 25 ans, Jérôme Cahuzac n'a pas le profil classique Sciences politiques-ENA. Après son baccalauréat, ce fils de résistants, issu d’une famille ancrée à gauche, opte pour des études de médecine.
La soupe est meilleure dans le lobbying qu’à la clinique
Au PS, il est chargé des questions liées à la Santé. Il est membre de l’équipe de campagne de Michel Rocard, candidat à la présidentielle de 1988 puis Premier ministre de François Mitterrand. Jérôme Cahuzac quitte ensuite son poste de chef de clinique à la faculté de médecine pour devenir conseiller technique dans le cabinet de Claude Evin, ministre des Affaires sociales des deux gouvernements Rocard de 1988 à 1991.
On lui confie l’élaboration de la loi Evin, qui encadre la publicité sur l’alcool et le tabac. Le texte suscite des débats enflammés au Parlement mais reçoit un soutien inattendu : celui d’une certaine Roselyne Bachelot, très liée à Big Pharma et députée du RPR, parti opposé à la loi. Le texte est décrié par les lobbies des vins et spiritueux... mais Jérôme n’a déjà d’yeux que pour le puissant lobby du Big Pharma. A cette période, il est conseiller technique pour le médicament et de ce fait l'interface du ministère de Claude Evin avec la Direction de la pharmacie et du médicament (DPHM).
Chez Evin tout est bien. Ma petite entreprise...
Après la chute du gouvernement Rocard en 1991, il reprend sa carrière professionnelle, qui se porte à merveille grâce à sa petite entreprise, qui ne connaît pas la crise, Cahuzac Conseil qui "engrange” pour ses “conseils purement techniques” au profit des labos.
Le chirurgien, qui a commencé sa carrière en cardiologie dans le public, fait un retour en politique lors de l’élection présidentielle de 1995. Il est de nouveau sollicité sur les questions de santé, cette fois-ci par Lionel Jospin qui l’intègre à son équipe de campagne. Cahuzac a encore mal choisi son candidat, puisque c’est Jacques Chirac qui est élu...
Il se lance alors dans la politique élective. Parachuté dans le Lot-et-Garonne pour les législatives de 1997, le scrutin est remporté par la gauche plurielle dont le PS est le pilier. Le premier secrétaire Lionel Jospin, l’un de ses mentors, est alors nommé à la tête du gouvernement de coalition et de cohabitation. Jérôme Cahuzac est élu député dans la troisième circonscription, puis conseiller général du département de 1998 à 2001.
As de la fiscalité, il fait de la fraude un joker, et de l’exploitation son mantra.
Il devient maire de Villeneuve-sur-Lot en 2001 à l’issue des élections, mais perd, dans la foulée, son siège de député à l’Assemblée au profit d'Alain Merly (UMP). Il prendra sa revanche cinq ans plus tard, en battant un autre candidat UMP pour retrouver son siège. A partir de 2007, il se spécialise à l’Assemblée sur les questions fiscales. Premier avertissement et non des moindres, cette même année, il est condamné dans une affaire de femme de ménage philippine sans-papiers employée au noir dans sa clinique de chirurgie esthétique, payée chichement en liquide de juillet 2003 à novembre 2004, pour 40 heures mensuelles à raison de 250 € par mois. La condamnation de Cahuzac ne s’accompagne ni d’une peine ni d’une inscription au casier judiciaire.
En 2008, Jérôme Cahuzac est nommé vice-président du groupe “socialiste, radical et citoyen”. Il en est le porte-parole pour les affaires financières. Ses interventions sur les questions fiscales et son talent d’orateur lui valent les étiquettes de “tranchant” et “arrogant”. Il cible particulièrement le gouvernement Fillon et sa gestion budgétaire, la dette publique et le bouclier fiscal...
Le député du Lot-et-Garonne, proche, selon la presse, de Jean-Marc Ayrault, alors président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, est élu président de la commission des Finances. Ironie de l’histoire, il propose un amendement visant à instaurer une ”contribution de solidarité nationale” à la charge des Français aisés “dont le domicile fiscal est situé hors de France”. Mais son amendement est rejeté.
Les élections présidentielles de 2012 approchent et Jérôme Cahuzac doit encore se positionner. Cette fois-ci, c’est la bonne. Celui qui voit d’un mauvais œil la candidature de Christine Lagarde à la direction du FMI en raison de son implication dans l’affaire Tapie intègre l’équipe de campagne de François Hollande, vainqueur face à Nicolas Sarkozy.
Il est récompensé par une nomination au poste de ministre délégué au Budget, dans le premier gouvernement de Jean-Marc Ayrault. A ce poste, il tente de mettre en pratique ses appels au gouvernement Fillon à réduire la dette publique, sans doute inspiré par son deuxième mentor, l’austère Lionel Jospin, en proposant un projet de loi de finances marqué par une baisse de 10 milliards d’euros des dépenses publiques pour 2013. Un objectif qui sera revu à la baisse... de manière drastique.
Ironie du sort toujours, c'est à peine sept mois après sa nomination que les premières accusations de fraudes fiscales émergent puis fusent. Mediapart dévoile l’existence d’un premier compte appartenant à Jérôme Cahuzac en Suisse. Le ministre délégué au Budget nie en bloc d'abord sur le plateau de BFMTV, en regardant “les yeux dans les yeux” l’animateur Jean-Jacques Bourdin, puis à l’Assemblée nationale, parjurant devant ses pairs les députés.
Même le bourreau de Béthune n’y pourra rien !
Il démissionne en mars 2013, cédant sa place à Bernard Cazeneuve. Il reconnaîtra quelques semaines plus tard l’existence de ce fameux compte en Suisse et annoncera, comme par regret, le rapatriement de 600 000 euros. Les sentences tombent l’une après l’autre : le Parti socialiste l’exclut et son siège de député, dont le mandat s’achève en juin cette année-là, est déjà perdu.
La boîte de Pandore désormais béante, les révélations s’enchaînent. Toujours selon Mediapart, les mensonges de Jérôme Cahuzac ont “mis en cause sa sincérité” auprès de la direction régionale des Finances publiques de Paris-Sud, qui éplucherait ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune pour trois années (2010 à 2012). L’information est démentie, mais le média d’investigation campe sur ses positions et enfonce le clou, évoquant une sous-évaluation du montant de l’appartement parisien de Jérôme Cahuzac, qui aurait déclaré un prêt parental déjà remboursé et dissimulé encore certains biens.
Quand le chevalier blanc du offshore blanchissait encore plus blanc.
Mediapart va plus loin en affirmant que l’ex-ministre délégué au Budget touchait des pots-de-vin entre 1988 et 1991 lorsqu’il était membre du cabinet de Claude Evin.
Malgré le démenti de la direction des Finances publiques, il est mis en examen en septembre 2013 pour “déclaration incomplète ou mensongère de son patrimoine par un membre du gouvernement”. Il ne s’agit pas des biens non déclarés mais de son compte en Suisse, dont il n’a pas fait mention lors de sa nomination en 2012. Quant à la provenance d’un tel montant, il le justifiera devant la correctionnelle par ses conseils à des laboratoires comme Pfizer, dont on sait aujourd'hui qu’il alimentait les caisses du Parti socialiste, et dont les amendes colossales pour diverses escroqueries se montent au chiffre record de 10 milliards de dollars entre 2009 et 2019.
Mais, il ne s’agit pas là du seul compte offshore détenu par Jérôme Cahuzac. Et, c’est son ex-épouse qui dévoilera l’existence d’un autre compte approvisionné à hauteur de 2,5 millions d’euros et domicilié sur l’île de Man. En attendant son procès, l’Ordre des médecins lui communiquera son interdiction d’exercer la médecine pendant trois mois, à compter de juillet 2014.
En juin 2015, son affaire est renvoyée devant le tribunal correctionnel de Paris pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale. Sans emploi, il annonce sa retraite en janvier 2016, en attendant son procès. Celui-ci s’ouvre en septembre de la même année. Trois ans de prison ferme sont requis contre lui. Il est condamné trois mois plus tard à cette peine, et plus de cinq ans d’inéligibilité pour les deux délits qui sont reprochés à celui qui si bien “incarnait la lutte contre la fraude fiscale” !
Jérôme Cahuzac, qui compte parmi ses avocats l’ineffable Eric Dupond-Moretti, fait appel de la décision. Son procès en appel s’ouvre en février 2018. ”Acquittator”, l’actuel ministre de la Justice, n’aura pas le privilège d’ajouter une étoile à son palmarès. Son client est condamné à quatre ans de prison, dont deux ferme, 300 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité. Un verdict qui permettra tout de même à Cahuzac d’aménager sa peine et lui épargner la geôle.
Un bracelet électronique à la cheville jusqu’en avril 2020, il bénéficiera d’une suspension de peine pour exercice à plein-temps dans un hôpital pendant la pandémie de Covid-19. Il est néanmoins convoqué pour récupérer son bracelet après le déconfinement, et ce, jusqu’à septembre 2020. Sa libération conditionnelle sera confirmée par la cour d’appel de Bastia.
Trois petits tours et puis... revient !
Et si c'était la fin de la carrière politique de Jérôme Cahuzac ?
Pas du tout, tout comme son compère Valls, sans plus d'amour-propre, il imagine un grand retour. Après plus de 10 ans d’absence, l’ancien ministre escroc prépare son come-back avec l'aide d’anciens du cabinet McKinsey, c’est du moins ce qui se murmure.
En septembre dernier, une association, Les amis de Jérôme Cahuzac, est créée. Fin novembre, c’est par une “visite sur le terrain” que Jérôme Cahuzac marque son retour. “Un retour ? Ce n’est pas un retour, je ne suis jamais parti”, estime-t-il... Ah...
C’est à Monsempron-Libos, commune voisine de Villeneuve-sur-Lot, dont il était maire, que l’ex-député de la troisième circonscription du Lot-et-Garonne anime une réunion publique.
Jérôme Cahuzac reconnaît avoir “commis une immoralité quand [il a] menti à l’Assemblée”. Mais il estime “avoir assumé” et, “en assumant”, dit-il, il aurait eu “une attitude morale”. Puis critique La France Insoumise (LFI) et son attitude “violente et intolérante”.
Le donneur de leçon est de retour... Chassez le naturel, il revient au galop !
L’ancien ministre accusé de fraude fiscale regrette un “paysage politique dévasté”, entre une “gauche ravagée” et une “droite qui se délite”. Il préconise, lui, la création d'une “sorte d’union nationale”.
A n’en pas douter, il devrait vite retrouver sa place dans un microcosme politique français à la probité plus que jamais douteuse.
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