Présidentielle : François Fillon peut-il (encore) obtenir l'annulation de l'élection ?

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Jean-Philippe Morel, édité par la rédaction
Publié le 09 mai 2017 - 17:08
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François Fillon à Lille le 18 avril 2017
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© PHILIPPE HUGUEN / AFP
Tout candidat peut déférer directement au Conseil constitutionnel l'ensemble des opérations électorales.
© PHILIPPE HUGUEN / AFP
Entre les deux tours, Robert Bourgi, proche de François Fillon, a évoqué l'idée qu'aurait celui-ci de "faire invalider l'élection présidentielle". La diffamation dont-il accuse "Le Canard enchaîné" est en effet punie lorsqu'elle influe sur les suffrages, et le Conseil constitutionnel peut dans certain cas annuler l'élection présidentielle. Une plainte de François Fillon pourrait-elle alors remettre en cause le scrutin et ses résultats? Jean-Philippe Morel, avocat au barreau de Dijon et partenaire de "FranceSoir", répond à cette question.

Cette année 2017 à l’issue du premier tour, au terme d’une campagne pleine de rebondissements et de révélations impactée par un climat singulier autour du candidat Fillon, celui-ci indiqua entre les deux tours, vouloir porter plainte contre Le Canard enchaîné. Le journal avait notamment révélé l’emploi de sa femme comme attachée parlementaire, ce qui eut pour effet d’affecter son image dans les sondages d’opinion, puis de l’écarter du second tour. Un fait sans précédent pour le candidat de la droite depuis 1958.

Robert Bourgi, proche du candidat, a affirmé mercredi 3 que François Fillon avait "en tête de faire invalider l'élection présidentielle". Et ce dépôt de plainte à l'encontre du Canard enchainé participerait à ce "but".

Sa plainte reposerait sur l’article L 97 du Code électoral qui réprime "ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15.000 euros". François Fillon par son initiative procédurale chercherait-il à contester juridiquement les résultats de l’élection au motif que le climat de la campagne aurait été de nature à fausser la sincérité du scrutin? La déclaration de Robert Bourgi, le laisse penser.

Mais François Fillon peut-il faire annuler le scrutin?

Le Conseil constitutionnel est le garant de la bonne organisation du vote. L’article 58 de la Constitution prévoit que "le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l'élection du président de la République. Il examine les réclamations et proclame les résultats du scrutin".

En vertu de l’article 50 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la mission de celui-ci est précise: "Dans le cas où le Conseil constitutionnel constate l’existence d’irrégularités dans le déroulement des opérations, il lui appartient d’apprécier si, eu égard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu soit de maintenir lesdites opérations, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle".

Le requérant devra démontrer que de telles irrégularités aient pu altérer la sincérité du scrutin au niveau national, hypothèse théorique, car cela supposerait également un écart très faible de voix entre les candidats. En effet le juge électoral met en regard la gravité, l’ampleur et les répercussions potentielles des irrégularités avec l’écart des voix.

À la différence d'un contentieux électoral classique pour les autres élections, le contentieux électoral du scrutin présidentiel a un régime spécifique: il se fait au cours de l’élection (après le 1er tour dans les 48 h qui suivent) ou en même temps que la proclamation des résultats (pour le 2ème tour dans les 10 jours maximum), car le Conseil constitutionnel "examine et tranche définitivement toutes les réclamations" avant de proclamer les résultats (art. 50 de l'ordonnance n° 58-1067).

La Constitution garantit ainsi la stabilité des institutions puisque le candidat proclamé président de la République par le Conseil constitutionnel ne pourra pas voir ensuite son élection remise en cause. La procédure contentieuse est prévue par le décret n°2001-213 du 8 mars 2001 qui précise en son article 30 les modalités de saisine du Conseil constitutionnel.

Il distingue trois catégories de personnes: en premier lieu, les électeurs mais de manière très limitée, car ils ne peuvent pas saisir le Conseil constitutionnel directement. Mais ils peuvent faire des réclamations qui sont portées le jour de l’élection sur les procès-verbaux des bureaux de vote.

En deuxième lieu, le préfet dispose, dans un délai de quarante-huit heures suivant la clôture du scrutin, de la possibilité de déférer directement au Conseil constitutionnel les opérations électorales dans son département.

En troisième lieu, tout candidat peut également, dans le même délai de quarante-huit heures, déférer directement au Conseil constitutionnel l'ensemble des opérations électorales. C’est cette voie qu’aurait pu choisir François Fillon à l’issue du premier tour.

Le Conseil disposait alors d'un délai très court pour examiner les réclamations du premier tour car il devait statuer au plus tard le mercredi suivant. De fait il a prononcé les résultats officiels dès le 26 avril mettant un terme à toute contestation de ceux-ci.

Pour le deuxième tour, le délai est théoriquement plus long: en effet, "le Conseil constitutionnel proclame les résultats de l'ensemble de l'élection dans les dix jours qui suivent le scrutin où la majorité absolue des suffrages exprimés a été atteinte par un des candidat". Cependant, le Conseil constitutionnel n'utilise pas ce délai puisqu’en 2002 les résultats avaient été proclamés dès le mercredi (décision n° 2002-111 PDR du 8 mai 2002). Le mandat du président François Hollande se terminant au plus tard le dimanche 14 mai à minuit, soit 7 jours après le second tour, le conseil doit nécessairement proclamer les résultats officiels avant cette date.

La plainte de François Fillon contre Le Canard enchaîné, donnera lieu à une enquête préliminaire, forcément plus longue que le délai de recours de 48 heures, ou de 10 jours. Quelle que soit l’issue de cette plainte pour propagation de "fausses nouvelles" ou de "bruits calomnieux", et d’une éventuelle décision de justice, celle-ci arrivera bien après les délais de recours et la prise de fonction du nouveau président de la République, que rien ne pourra remettre en cause a posteriori.

Dès lors même s’il était avéré que des manœuvres aient pu altérer peu ou prou la sincérité du scrutin de l’élection présidentielle de 2017, nous ne serions déjà plus sur le terrain juridique de la contestation électorale, mais de nouveau sur le terrain politique.

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