Malgré la fermeté affichée, 2017 pourrait-elle marquer un tournant vers l’assouplissement des sanctions contre la Russie ?

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Michel Borsky
Publié le 22 juin 2017 - 21:35
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Le président russe Vladimir Poutine à Sotchi, dans le sud de la Russie, le 17 mai 2017
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© Yuri KADOBNOV / POOL/AFP/Archives
Vladimir Poutine et la Russie restent pour l'instant en marge des grands sommets internationaux.
© Yuri KADOBNOV / POOL/AFP/Archives
En surface, l'Union européenne joue la carte de la fermeté en reconduisant certaines sanctions à l'encontre de la Russie. En filigrane, l'ambiance est à un possible relâchement, notamment sur la demande d'une partie de la classe politique allemande. L'élection de septembre outre-Rhin pourrait donc représenter le moment charnière de l'avenir des relations avec Moscou.

Derrière les sourires de façade pour la photo officielle, la position restait ferme et déterminée. Le samedi 27 mai, à Taormina en Sicile, les membres du G7 ont indiqué qu’ils envisageaient de prendre de nouvelles mesures de sanctions contre la Russie du fait de sa "responsabilité" dans le conflit en Ukraine depuis l’annexion de la Crimée. La Russie, une nouvelle fois, ne participait pas au sommet des grandes puissances internationales qu’elle a quitté en 2014 consécutivement à son intervention dans le pays. Lundi 19 juin, la confirmation est tombée: l’UE prolonge d’un an les sanctions contre Moscou (jusqu’au 23 juin 2018 précisément), estimant que les résolutions décidées dans les accords de Minsk n’ont pas été entièrement réalisées.

Détail important, et pas toujours clairement expliqué dans les médias: ces sanctions prolongées ne concernent que les faits en lien avec la Crimée. Les sanctions concernant le reste de l’action de la Russie en Ukraine seront rediscutées prochainement, et pour cause: elles doivent prendre fin en principe le 31 juillet et restent donc un sujet de débat entre les différents partenaires européens.

L’annonce de l’Union européenne n’a pas fait les gros titres des journaux. Elle est pourtant capitale: elle vient en effet faucher en plein vol le dynamisme ambiant en faveur d’un adoucissement, voire d'une levée, des sanctions contre la Russie porté par plusieurs acteurs économiques et politiques. Ces derniers se voient ainsi durement désavoués par leurs Etats respectifs.

Merkel contre Poutine

Côté politique tout d’abord, les échéances électorales de l’année 2017 portent en filigrane la question du rapport avec la Russie, notamment en France et en Allemagne. Dans l’Hexagone, la victoire d’Emmanuel Macron a totalement occulté la position de plusieurs candidats, un temps donné favoris, sur le réchauffement avec la Russie. Certes, le candidat d’En Marche est toujours resté assez discret sur le sujet, et a reçu Vladimir Poutine dès le 29 mai à Versailles, trois semaines après son élection. Mais pour les partisans du durcissement, c’est un moindre mal quand on se rappelle notamment la position de François Fillon, le candidat LR battu au premier tour mais qui a fait figure de favori officieux avant que n’éclate l'affaire sur l’emploi fictif présumé payé avec de l’argent public dont il a fait bénéficier son épouse. Lors de la campagne électorale, François Fillon s’était plié à ce qui est quasiment devenu un exercice obligé pour les candidats les plus "sérieux": un déplacement à Berlin à la rencontre d’Angela Merkel. Là, il y avait expliqué qu’il "était convaincu que les sanctions contre la Russie étaient totalement inefficaces" et qu’il fallait "trouver une autre manière de discuter" avec Moscou.

Un message sans ambiguïté pour celui que Vladimir Poutine décrivait, en novembre 2016, comme étant "une personne honnête". Le président russe avait déjà reçu auparavant, en mars, Marine Le Pen. Un moment fort de reconnaissance pour la candidate du Front national. Avec du recul, ces manœuvres russes semblent bien vaines. Ce serait oublier qu’au début de la campagne électorale, un second tour Fillon/Le Pen n’était pas à exclure et, qu’en y rajoutant Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, trois des quatre favoris du scrutin français étaient favorables à un relâchement de la pression sur Moscou.

Le scrutin français est passé. L’attention est maintenant focalisée de l’autre côté du Rhin. En septembre, c’est l’Allemagne qui va aux urnes, avec Angela Merkel qui essaiera de décrocher un nouveau mandat, le quatrième, face au candidat de gauche Martin Schultz. Or, la chancelière en exercice est dans le viseur de Moscou et représente à ce jour l’une des plus ferventes opposantes à un réchauffement des relations UE-Russie. Signe qui ne trompe pas, les médias russes RT et Sputnik (qu’Emmanuel Macron avait déjà pointé du doigt) ont multiplié les articles expliquant que la chancelière était directement à l’origine de l’entrée de 800.000 migrants en Allemagne. Et plusieurs personnalités du SPD se sont déjà positionnées favorablement à Moscou sur la questions des sanctions. Malgré la position "dure" du G7, le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel était en déplacement début juin au Forum économique international de Saint-Petersbourg (SPIEF). Celui qui s’inquiétait d’une "spirale dans la course aux armements" si les tensions avec la Russie persistaient a été reçu par Vladimir Poutine en marge de l’événement. Ils ont échangé avec Sergueï Lavrov sur "les relations russo-allemandes" espérant de nouveau faire revenir la Russie à la table des négociations dans le cadre d’un sommet au "format Normandie". Et c’est encore Sigmar Gabriel qui a rencontré le 9 mai dernier Sergueï Lavrov… trois jours seulement après le "mini-sommet" de Versailles réunissant la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne pour échanger sur le futur de l’Europe sur fond de craintes d’une explosion de l’UE liée au Brexit.

Les agents économiques poussent

Mais les appels du pied à un retour de la normalisation avec la Russie viennent aussi -et surtout, en réalité- des acteurs économiques privés. Pour eux, le terme "sanction" équivaut à un resserrement du marché dans des proportions qui finissent par impacter durement leur business. Et si les intérêts économiques français (l’agriculture notamment) en demande d’un relâchement n’ont pas réussi à peser dans le scrutin présidentiel, la situation pourrait être toute autre en Allemagne ou certaines figures s’engagent frontalement dans ce débat. Le patron de Wintershall, le géant énergétique allemand (et qui, sans surprise, est impliqué dans le consortium Nord Stream) s’est ainsi distingué par son activisme sans détour en faveur de la fin des sanctions. "Les sanctions nuisent à l'économie et au commerce russes entre la Russie et l’Europe, mais nous ne nous sommes pas rapprochés de la résolution de la crise politique", assure Mario Mehren, le PDG de l’entreprise.

Et il n’est pas le seul dans ce combat, puisqu’une large majorité du secteur énergétique européen, qui souhaite revenir sur le marché russe, en appelle à une levée des sanctions. Et l’énergie n’est pas le seul secteur concerné, puisque le secteur bancaire fait lui aussi pression pour un adoucissement des barrières, avec des soutiens parfois très hauts placés. En mars dernier était ainsi révélé dans la presse que Tony Podesta, le frère de John Podesta le porte-parole d’Hillary Clinton qui aurait pu occuper une fonction majeure si celle-ci avait gagné l’élection, avait occupée en 2016 un poste de lobbyiste pour la banque russe Sberbank. Le but? Que cette dernière puisse être exonérée des sanctions pesant sur le pays et appliquées par les Etats-Unis. Tony Podesta a touché une rémunération de 170.000 dollars et sa mission s’est déroulée en pleine campagne présidentielle, rappelant que les liens présumés avec la Russie ne concernaient pas que le camp républicain.

Autant de signaux vers une volonté d’assouplissement qui inquiète de plus en plus en Europe de l’Est. Les Etats de la zone s’inquiète en effet de discours fermes en apparence qui finiraient par s’adoucir dans la durée, sans que la Russie ne change réellement sa position. Des inquiétudes qui semblent d’autant plus justifiées que la stratégie de développement diplomatique et économique de Moscou est focalisée sur l’avenir des sanctions qui seront appliquées sur le pays. En janvier dernier déjà, le président bulgare Rossen Plevneliev ainsi que seize anciens dirigeants avaient envoyé une lettre à Donald Trump expliquant qu’il ferait une erreur en renouant avec la Russie. Ce courrier a-t-il pesé dans la balance au moment du G7 qui a adopté une position de fermeté? Même si le maintien annoncé des sanctions, et même le symbole de l’entrée du Montenegro dans l’Otan, ont envoyé des signaux positifs, l’Europe orientale reste crispée sur la question et scrute de très près les évolutions politiques et le gouvernement qui sortira des urnes outre-Rhin. En France aussi les positions ne semblent pas entièrement arrêtées. Dans une interview pour le journal Le Monde daté du 29 juin, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian expliquait qu'il y avait maintenant "une fenêtre d’opportunité" pour un dialogue avec la Russie.

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